CA Paris, 5 sept. 2019, n° RG 18/17592 Mohamed Abdel Moshen Al-Kharafi et Fils (Koweït) c. Libyan Investment Authority & Libyan Arab Foreign Investment Company (Libye)
Exclusion de l’immunité de juridiction – double condition relative à la nature des biens saisis:
1) « les biens[saisis] ont un lien avec l’entité contre laquelle la procédure a été intentée », cette condition étant remplie lorsque les biens saisis appartiennent à « des émanations de l’État » ;
2) les biens saisis «sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par ledit État autrement qu’à des fins de service public non commerciales », cette condition étant remplie lorsque la saisie porte sur un « produit financier » des « parts sociales […] librement négociables sur le marché » et des « sommes d’argent déposées dans une banque commerciale ».
En juin 2006, le Service de développement touristique de la Lybie a donné en location pour une durée de quatre-vingt-dix ans, à une société de droit koweitien, un terrain situé à Tripoli dans le cadre d’un projet d’exploitation touristique approuvé par le Ministère du tourisme libyen.
Conformément à la clause compromissoire contenue dans le contrat de location, la société de droit koweitien engageait une procédure arbitrale selon le règlement de procédure du Centre régional d’arbitrage commercial international du Caire. Une sentence arbitrale était rendue le 22 mars 2013 aux termes de laquelle le gouvernement de l’État libyen, le ministère de l’Économie, le Conseil Général de Promotion des Investissements et de la Privatisation et le ministère libyen des finances étaient condamnés au paiement de la somme de 936.940.000 dollars majorée des intérêts au taux de 4%.
Cette sentence a été déclaré exécutoire en France par le tribunal de grande instance de Paris le 22 mars 2013. Diverses contestations ont alors été soulevées avant d’être rejetées.
En exécution de la sentence arbitrale, la société de droit koweitien a fait pratiquer en juillet 2013 plusieurs saisies-attribution auprès de différentes banques commerciales sur les avoirs de la Libyan Investment Authority (LIA), le fonds souverain libyen, ainsi qu’une saisie-attribution des droits d’associés et de valeurs mobilières auprès d’une filiale à 100% de la LIA.
La LIA et sa filiale ont contesté les saisies devant le tribunal de grande instance de Paris, lequel a ordonné leur mainlevée, considérant que l’État libyen n’avait pas renoncé de façon expresse et spéciale à son immunité d’exécution.
La société de droit koweitien ayant interjeté appel du jugement de mainlevée, la Cour d’appel de Paris rappelle d’abord les conditions dans lesquelles des mesures conservatoires ou d’exécution forcée visant un bien appartenant à un État étranger peuvent être autorisées par le juge soit, aux termes de l’article L.111-1-1 du code des procédures civiles d’exécution, la présence de l’une des conditions suivantes : (1) l’État concerné a expressément consenti à l’application d’une telle mesure ; (2) l’État concerné a réservé ou affecté ce bien à la satisfaction de la demande qui fait l’objet de la procédure ; ou (3) lorsqu’un jugement ou une sentence arbitrale a été rendu contre l’État concerné et que le bien en question est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé par ledit État autrement qu’à des fins de service public non commerciales (une liste non exhaustive étant fournie au second alinéa de l’article) et entretient un lien avec l’entité contre laquelle la procédure a été intentée.
La Cour d’appel de Paris prend le soin de préciser que si « ces dispositions ne s’appliquent pas au litige né antérieurement à la loi du 9 décembre 2016, dit loi Sapin II, qui les a introduites dans le code des procédures civiles d’exécution[…] la Cour de cassation, dans son arrêt du 10 janvier 2018 [Cass. Civ., 10 janvier 2018, n°16-22.494], a retenu que les nouveaux articles L.111-1-2 et L.111-1-3 du code des procédures civiles d’exécution, s’ils ne s’appliquaient pas à sa décision, pouvaient cependant l’inspirer compte tenu de l’impérieuse nécessité, dans un domaine touchant à la souveraineté des États, de traiter de manière identique des situations similaires ».
A l’aune de ces textes, la Cour d’Appel considère qu’il convient ainsi pour elle :
- « d’examiner, d’abord, si les intimées sont une émanation de l’État libyen » ;
- « ensuite, le cas échéant, si celui-ci a renoncé à l’immunité d’exécution au cours de la procédure d’arbitrage » ;
- « à défaut de cette renonciation, la cour examinera si les biens saisis sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par ledit État autrement qu’à des fins de service public non commerciales et entretiennent un lien avec l’entité contre laquelle la procédure a été intentée ».
Sur le premier point, la Cour d’appel constate (1) ; l’absence d’indépendance organique au regard de plusieurs éléments et notamment de la tutelle exercée par le conseil des ministres sur la LIA ; (2) la confusion des patrimoines dès lors que le capital de la LIA est détenu à 100% par l’État libyen et que l’augmentation ou la diminution de ce capital ne peut intervenir que sur proposition du conseil des ministres. Elle juge ainsi que la LIA et sa filiale à 100% sont des « émanation[s] de l’État libyen pour le compte exclusif duquel elle[s] agi[ssent] ».
Sur le second point, l’appelante considérait notamment qu’au regard de la clause compromissoire renvoyant à un arbitrage conforme à la « Convention unifiée pour l’investissement des capitaux arabes dans les pays arabes » dont l’article 2-8 de l’annexe « Conciliation et arbitrage », laquelle prévoit que « la sentence arbitrale […] sera définitive et liera les parties qui doivent s’y soumettre et qui doivent l’exécuter immédiatement », l’État libyen avait renoncé à l’immunité de juridiction. La Cour d’appel jugeait néanmoins, en s’inspirant de l’article 19 de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur l’immunité juridictionnelle des État, et de leurs biens, que « l’engagement pris par un État d’exécuter immédiatement une sentence arbitrale ne peut s’analyser comme une renonciation expresse de cet État à son immunité générale d’exécution, dépourvue d’incertitude et d’équivoque, la notion de bonne foi dans l’exécution des conventions ou l’absence de retours possible étant indifférentes à cet égard».
Sur le dernier point, la Cour d’appel rappelant la nécessité pour les biens saisis, afin d’écarter l’immunité d’exécution, de remplir la double condition d’être « spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par ledit État autrement qu’à des fins de service public non commerciales et [d’entretenir]un lien avec l’entité contre laquelle la procédure a été intentée » jugeait les deux conditions remplies dès lors que :
- les biens saisis appartenaient à « des émanations de l’État» et avait donc un lien avec l’État libyen;
- la saisie portait sur un « produit financier», des « parts sociales[…] librement négociables sur le marché» et des « sommes d’argent déposées dans une banque commerciale» soit des biens saisissables puisque non spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés à des fins de service public non commerciales.
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